REFLETS ANONYMES
À certaines heures du jour ou de la nuit, on ne sait pas quand exactement, les vitrines se vengent de leur transparence. Le verre se maquille d’opacités si bien qu’aux éclairages maîtrisés des devantures se mêlent les éclaircies sauvages de la rue. Le dehors et le dedans s’embrouillent dans une lumière sans saison. Toutes ces choses exhibées, immobiles et propres derrière leurs barrières limpides, jetées aux yeux pour mieux les protéger des mains, viennent se diluer dans des lueurs parasites, dans d’étranges éclats taciturnes d’ombres incertaines, dans les reflets vagues et mouvants des passants anonymes qui, de l’autre côté des étalages et dans les contrejours des allées, battent le pavé .
Ainsi dans l'univers urbain, les vitrines jouent le double rôle fascinant de révéler et de dissimuler. Dans un ballet de reflets imprévisibles et de lueurs fugitives, elles dilatent le regard pour se transformer en un espace spectral où les frontières entre réalité et illusion s’effacent.
Mais encore faut-il voir cela, y être attentif, car bien souvent ces spectacles restent perdus, ignorés, invisibles pour les usagers pressés des cités. Qui regarde un bijou ou un petit pain au chocolat ne remarque pas que la vitrine qui l’en sépare est tout aussi bien en réalité un miroir…
Heureusement pour nous, Bruno Maillard, lui, au fil de ses déambulations capricieuses entre chiens et loups, en a fait son musée, son palais des glaces…
Ses photographies, loin d’être de simples documents ou témoignages d’anecdotes jolies, nous plongent dans une vraie chorégraphie improvisée d’ombres et de lumières, dans les gris somptueux et chatoyants d’une danse figée de fantômes ordinaires que les verres et les façades développent et absorbent. Ses carrés quasi monochromes perturbent les scènes, altèrent la perception des faits anodins et transforment le banal du quotidien en énigmes visuelles, où le tangible et l’intangible se confondent.
Ainsi, au travers d’une démarche singulière qui se distancie de la photographie de rue habituelle, Maillard transcende le descriptif pour composer des images bourrées de mystères et de poésie. Si les silhouettes floues et les textes à demi lisibles ou à l'envers sur les vitres évoquent bien un monde organisé par le commerce et les déplacements des individus dans la cité, les images qu’il en sort, elles, annoncent une autre approche. Par une sorte d’alchimie discrète pratiquée à des heures improbables, toutes ces lumières envoyées valdinguer par les surfaces vitrées se patinent et créent des portails vers d’autres lectures, lectures d’images pures ne réclamant aucune légende, aucune localisation, aucune temporalité. Ce n’est pas ce qui se passe dans la rue qui importe ici mais bien le moment de lumière que la photographie seule permet de proposer à partir de cela, mais bien ces jeux de reflets qui n’existent ainsi que par cette captation. Et la ville kaléidoscope se convertit en scènes baroques où l’ordinaire se mue en extraordinaire, rappelant que le hasard et l’invisible sculptent en permanence notre perception du monde.
C’est un peu comme si ces images superposées, dédoublées, par les effets de miroirs et de transparences, lançaient une allégorie de notre nature fragmentée, composée de multiples facettes insaisissables. Les corps, mêlés aux décors, se dissolvent dans un univers de volumes et de lumières où même les couleurs ne s’y retrouvent plus. Et dans ces ambiances feutrées et mystérieuses, où le temps semble s’étirer, piétons et mannequins se trompent devant des brioches à lunettes…
Pris dans ces perspectives chamboulées, cassées, nous sommes comme saisis par un écho de l’instabilité de l’existence se dissolvant dans les reflets de la vie quotidienne. Le photographe va jusqu’à réaliser des impressions où la matière même de ses images, une sorte de texture presque palpable, extrêmement silencieuse, accentue ces jeux de dévoilements et de dissimulations, renforce cette sensation d’un instant aux plans imbriqués, qui, alors, ne passe plus et où tout dialogue – lumière, matière, reflets et transparences.
Alan Humerose
D’origine fribourgeoise, Bruno Maillard, né en 1961, a travaillé dans le journalisme en tant que photoreporter. Il a co-fondé une agence de communication qu’il a dirigée pendant 33 ans et dont il s’est séparé en 2023. En 2004, il a créé les micro-éditions Zénobie pour divers ouvrages d’art et récits. Il fut encore co-fondateur de la galerie Poivre et Sel dédiée à la photographie. Il fut membre et président de Photographie Professionnelle et Artistique Fribourgeoise.
Concepteur, créateur et il est aussi réalisateur de nombreux lieux d’expositions. Il participe à la Triennale internationale de photographie en 1988, reçoit le 1er prix du SwissPress Photo catégorie Portraits en 1998. Il expose dans divers lieux et galeries en Suisse romande et à l’étranger ( Castelfranc, Damas, Alep).
ANONYME SPIEGELUNGEN
Zu gewissen, nicht genau bestimmbaren Tages- oder Nachtzeiten wehren sich die Schaufenster gegen ihre Durchsichtigkeit. Das Glas überdeckt sich mit Trübungen und die kontrollierte Beleuchtung der Schaufenster vermischt sich mit dem wilden Licht der Strasse. Draussen und Drinnen verschwimmen in einem Licht ohne Zeiten. Die zur Schau gestellten Dinge, die unbeweglich und sauber hinter ihren durchsichtigen Abgrenzungen liegen, den Augen hingeworfen und vor dem Zugriff der Hände bewahrt, werden aufgelöst durch zudringliche Lichter, durch seltsame, stumme Sprenkel unbestimmter Schatten und durch vage, sich bewegende Widerspiegelungen anonymer Passanten, die auf der anderen Seite der Auslagen und im Gegenlicht der Gassen das Pflaster bevölkern.
So spielen Schaufenster in der Stadtlandschaft eine faszinierende Doppelrolle von Enthüllen und Verbergen. In einem Reigen unvorhersehbarer Spiegelungen und flüchtiger Lichter weiten sie den Blick und verwandeln sich in einen gespenstischen Raum, in dem die Grenzen zwischen Realität und Illusion verschwimmen.
Freilich muss man dieses Schauspiel auch sehen, auf es achtgeben, denn sonst ist es verloren, wird ignoriert und bleibt für die eilenden Bewohner der Städte unsichtbar. Wer ein Schmuckstück oder ein Pain au Chocolat betrachtet, bemerkt nicht, dass das Schaufenster, das ihn von ihm trennt, in Wirklichkeit ein Spiegel ist...
Zu unserem Glück hat Bruno Maillard im Dämmergrau auf eigenwilligen Streifzügen daraus sein Museum, seinen Spiegelpalast geschaffen...
Seine Fotografien sind weit davon entfernt, nur Dokumente oder Zeugnisse gefälliger Anekdoten zu sein. Sie lassen uns in eine wahrhaft improvisierte Choreografie aus Licht und Schatten eintauchen, in prächtige und schillernde Grautöne eines eingefrorenen Tanzes alltäglicher Geister, die vom Glas und den Fassaden entfaltet und aufgenommen werden. Seine fast monochromen quadratischen Bilder verwirren die Szenerien, verändern die Wahrnehmung unscheinbarer Tatsachen und verwandeln die Banalität des Alltags in ein visuelles Rätsel, in dem Greifbares und Ungreifbares ineinander verschmilzt.
Mit seinem eigenwilligen Ansatz distanziert sich Maillard von der gewöhnlichen Strassenfotografie und geht über das rein Beschreibende hinaus, um Bilder voller Mysterium und Poesie zu schaffen. Während die verschwommenen Silhouetten und die halb lesbaren oder auf dem Kopf stehenden Texte auf den Fensterscheiben eine durch Konsum und die Bewegungen der Menschen geprägte Welt heraufbeschwören, künden die Bilder, die er daraus schafft, von Anderem. Durch eine subtile Alchemie, die zu unbestimmten Stunden erfolgt, verbrauchen sich all die vom Glas zurückgeworfenen Lichter und öffnen Portale zu anderen Lesarten, zu reinen Bildern, die keine Legende, keine Verortung und keine Zeitangabe verlangen. Es geht nicht darum, was auf der Strasse passiert, sondern um den Moment des Lichts, den nur die Fotografie einfangen kann, um das Spiel der Spiegelungen, die durch diese Momentaufnahme existieren. Die kaleidoskopartige Stadt verwandelt sich in barocke Szenen, in denen das Gewöhnliche aussergewöhnlich wird und daran erinnert, dass der Zufall und das Unsichtbare unsere Wahrnehmung der Welt unablässig formen.
Fast scheint es, als würden diese übereinandergelegten, gespiegelten und durch Transparenzeffekte verdoppelten Bilder eine Allegorie unseres fragmentierten Wesens entwerfen, das sich aus vielen kaum fassbaren Facetten zusammensetzt. Die Körper vermischen sich mit dem Hintergrund, lösen sich in einem Universum aus Volumen und Licht auf, in dem sich sogar die Farben verlieren. Und in diesen gedämpften und geheimnisvollen Stimmungen, in denen sich die Zeit zu dehnen scheint, täuschen sich Passanten und Schaufensterpuppen vor bebrillten Brötchen...
Gefangen in solch durcheinandergewirbelten, aufgebrochenen Perspektiven, erfasst uns wie ein Echo die Instabilität des Daseins, das sich in den Spiegelungen des Alltags auflöst. Der Fotograf geht noch weiter und fängt Bilder ein, die selbst die Materie seiner Aufnahmen, eine fast greifbare, überaus ruhige Beschaffenheit, dieses Spiel von Enthüllen und Verbergen noch verstärkt, dieses Gefühl eines Augenblicks von ineinander verschachtelten Ebenen, in dem alles in einen Dialog tritt – Licht, Materie, Spiegelungen und Transparenzen.
Alan Humerose
Bruno Maillard, geboren 1961, ist gebürtiger Freiburger und arbeitete als Fotoreporter. Er war Mitbegründer einer Kommunikationsagentur, die er bis 2023 insgesamt 33 Jahre lang leitete. Im Jahr 2004 gründete er den Kleinverlag Zénobie für Kunstbücher und Erzählungen. Er war zudem Mitbegründer der Galerie für Fotografie Poivre et Sel sowie Mitglied und Präsident des Vereins Photographie Professionnelle et Artistique Fribourgeoise.
Er ist Planer, Entwickler und Realisator zahlreicher Ausstellungsorte. Er nahm 1988 an der Internationalen Triennale der Photographie teil und erhielt 1998 den ersten Preis von Swiss Press Photo in der Kategorie Porträts. Er stellt an verschiedenen Orten und Galerien in der Westschweiz und im Ausland aus (Castelfranc, Damaskus, Aleppo).